Quinconce

Quinconce a enfourché de nouveaux engins pour imaginer des contrées aux méandres improbables, créer des ENTRE-MONDES.

Au centre du mot composé, un tiret. Eric, coordinateur de la biennale ARTour, a insisté sur sa présence car c’est ce tiret qui invente la matière et l’être, là où on attendait vide et absence. Et aussi sur l’s de MONDES pour engendrer la pluralité, la multiplication des états et des situations, pour construire ou déconstruire, pour signaler les chemins de traverse ou les tiers inclus, ces procédés qui amènent « l’harmonie de tous par la conciliation des  contraires » (R. Renard)  . Qui permettent la résolution de « ces deux états en apparence si contradictoires que sont le rêve et la réalité » (Breton). Les entre-mondes ouvrent la porte à toutes les déstructurations qui visent à la connaissance de soi, mènent des ténèbres à la lumière.

 

Néologisme qui intitule désormais une série de BD, le terme est utilisé en 2009 comme titre d’un ouvrage universitaire de la linguiste Karin UELTSCHI, Les Entre-Mondes. L’auteure explore « un autre aspect de l'au-delà (...) à la fois d'un lieu et d'un temps qui appartiennent aux morts comme aux vivants, mais aussi à des créatures au statut ambigu. » Ces entre-deux, nous dit-elle, nourrissent l'imaginaire de l'au-delà depuis l’Antiquité. Il s’échine aussi à une destruction basée sur la traversée de la frontière entre réalité et fiction : Alice risque un regard de l’autre côté du miroir et guette le lapin blanc à la recherche de quelque nouvelle aventure qui déconcerterait même Caroll !

 

Nous voilà donc partis pour un monde aux contours indéfinis, aux frontières diffuses; un univers où le réel envahit le néant. Où la naissance se mélange à la mort, où le passé se confond avec le futur. Un monde où chaque chose ne prend sens que dans son contraire, où la mort devient la vie, la vie se substitue à la mort.

 

Reste-t-il une place pour la nuance ? Que deviennent l’aube et la tombée du jour quand elles se promènent entre chien et loup? Les espaces intermédiaires, ces zones de non lieux où éclot la poésie et s’épanouissent les métaphores, ont disparu.

 

Que partagent l’eau qui s’envole en buée et le bloc de glace qui nous déchire la main ? Dans les entre-mondes, les réalités s’inversent, se font interfaces et charrient les éléments naturels. Ils jouent à l’alchimiste dans le creuset de la vie même quand elle tente obstinément de résister à l’ordre des choses.

 

Si les entre-mondes tissent des liens et unissent les improbables créations du rêve, ils inventent aussi des contraires pour les résoudre en synthèses constructives que guident la sagesse du yin et du yang : un voilage diaphane semble obstruer le chemin d’un ailleurs sans matière alors que les charnières de la vie grincent leurs souffrance.

 

C’est un bien beau chantier qui nous attend cette année au Centre d’Art et de Culture de Soignies, la ville des carrières de petit granit, symbole de pérennité et de force.

 

Christine Béchet

mai 2023